J’aime raconter des histoires, drôles ou pas.
Je ne me souviens pas quand j’ai entendu celle qui suit pour la première fois mais, bien que ce soit
l’une des plus belles, je n’ai jamais rencontré personne qui la connaisse. J’ai décidé de la partager
avec vous. Aucun rapport avec La Lysiane ni avec l’époque que nous traversons, à première vue.
Quoique, en y réfléchissant bien…
Un homme décède et monte au ciel. St Pierre l’accueille le plus courtoisement du monde, mais doit
s’excuser :
« Avec les famines, les guerres et tout ce qui se passe sur Terre, nous sommes débordés et vous ne
pourrez pas être jugé avant quelques jours. Cependant, si vous le désirez, je peux vous faire visiter
les lieux. »
Le mort accepte volontiers, et les voilà tous deux qui prennent un grand escalier. Ils descendent,
descendent, descendent encore, descendent toujours, pendant des heures. Ils se retrouvent enfin face
à deux gigantesques portes de bronze et d’airain magnifiquement ouvragées, si parfaitement
ajustées que leurs gardiens les ouvrent sans la moindre difficulté.
Le spectacle qu’elles dévoilent est hallucinant. Dans une énorme piscine – il y en a en fait des
milliers qui s’étendent à perte de vue – mijote le plus merveilleux des mets, dépassant en puissance
et en raffinement tout ce que l’on peut connaître en notre bas monde. Aux premières effluves la
bouche se gorge de salive, l’estomac se noue et crie famine. Tout autour de ce chaudron, des
cohortes de pauvres hères affamés tentent de goûter le mets succulent. Ils ont tous une curieuse
déformation morphologique : leurs mains sont des cuillers, ce qui leur permet de recueillir le
précieux nectar mais, ô malheur, leurs avant-bras sont démesurément grands, bien trop grands pour
que, quelque gymnastique qu’ils fassent, ils puissent porter à leur bouche l’ambroisie tant
convoitée. Ils resteront frustrés pour l’éternité.
« Vous observez là l’Enfer, déclare St Pierre. »
Les vantaux se referment et les deux acolytes reprennent l’escalier. Ils montent, montent, montent
jusqu’à rejoindre leur point de départ, mais ne s’arrêtent pas là. Ils continuent de gravir les marches,
encore et encore, pendant des heures, jusqu’à parvenir devant deux portes encore plus grandes,
encore plus belles que les premières, et tout aussi bien huilées. En s’ouvrant, elles découvrent un
spectacle en tout point semblable au précédent : une piscine, pleine d’une préparation exhalant des
parfums encore plus enivrants qu’en bas, et des personnes déformées avec des cuillers au bout de de
leurs avant-bras immenses. Mais, ici, chacun puise dans le chaudron et donne à manger à son
voisin.
« Et voilà le Paradis, commente St Pierre. »
Écrire commentaire